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verena hanf

  • Le gâteau du bonheur

    Hanf L'enfer du bocal couverture Deville.jpgDe Juliette à Jacques :

    « Ne faites surtout pas la même erreur que moi : se focaliser uniquement sur un seul espace mental, délimité par la famille, l’amour ou le travail, peu importe. Le gâteau du bonheur n’est pas composé d’un ou de deux ingrédients, d’une ou deux personnes, d’une ou deux parts. Il se compose de plus, de beaucoup plus. Autour des éléments essentiels, il faut le remodeler, le recomposer sans cesse, ajouter de nouveaux ingrédients et d’autres saveurs pour garder le goût de la vie. »

    Verena Hanf, L’Enfer du bocal

  • L'Enfer du bocal

    Sur la couverture de L’Enfer du bocal, le dernier roman de Verena Hanf qui vient de paraître, un poisson rouge saute hors de l’eau. « L’enfer, c’est les autres » écrivait Sartre dans Huis clos. Dans ce récit dédié par la romancière à ses fils, le bocal est d’abord celui de la sphère familiale, mais pas seulement. Comme dans ses romans précédents, Verena Hanf se penche ici sur les difficultés des relations interpersonnelles.

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    « Ils se moquent de ma boîte à tartines, je le sais, je le sens, même s’ils ne disent rien devant moi. » Au boulot, Jacques, le narrateur, préfère les bonnes choses que lui prépare sa femme tous les matins (Clara se soucie de les nourrir sainement) aux aliments industriels que les autres déballent ou réchauffent dans une cuisine qui ne mérite pas ce nom.

    Le bureau non plus – « Bureau, mon œil ! » Plutôt une cage « dans ce qu’ils appellent l’open space et que moi j’appelle l’aquarium. Du verre tout autour, des piranhas à l’intérieur et un manque cruel d’air. Les fenêtres sont hermétiques. » Seules notes encourageantes près de lui, les photos de sa femme, de sa fille, de ses petites-filles, « et même celle de Bruno encore enfant, souriant, cliché rare. »

    Rien ne va plus au travail pour Jacques depuis qu’on l’a déclaré low performer neuf mois plus tôt et rétrogradé au profit d’un jeune collègue. Il l’avait soutenu dès son arrivée, comme un fils, et le voit désormais comme un Judas, un traître. Jacques a échappé au licenciement, encore heureux à son âge – pas au mépris des autres. Clara le soutient, mais il reste de plus en plus silencieux à la maison.

    « Une nouvelle voix dans l’aquarium. Et quelle voix ! Basse, feutrée, avec un timbre vanillé. » Une femme rondelette vient le saluer à son bureau, Juliette Antoine, une nouvelle employée des ressources humaines, dans la cinquantaine. Il se méfie de ce département, mais elle semble vraiment gentille, s’intéresse à sa famille et le remet un peu de bonne humeur.

    Bruno, son fils, prétendait que Jacques voyait le mal partout, lui reprochait une vie médiocre, son travail commercial, le genre de vie dont lui ne voulait pas ; il ferait des études de philologie et de philosophie. Jacques lui en voulait de ce dénigrement général et de son manque de reconnaissance. Il lui avait appris tant de choses, à son fils, le vélo, les maths, les échecs... Et son travail les nourrissait, tout de même, il leur payait des vacances.

    Cet idéalisme de l’adolescent qui se transforme en juge impitoyable de ses parents, Clara et Jacques en ont beaucoup souffert. Clara y voyait l’influence d’un ami qu’elle jugeait « manipulateur », « un vrai petit escroc sous ses airs de bobo » –  ils voulaient le protéger. Depuis que leurs deux enfants ont quitté la maison, Clara retravaille comme infirmière à mi-temps, leurs horaires sont désaccordés, Jacques mange souvent seul le soir. De toute façon, ils ne parlent plus de Bruno, Clara s’y refuse : « Il sait où nous trouver, s’il le veut. Moi, je ne courrai plus après lui. Il y a des limites à tout. »

    Clara « a des opinions presque sur tout » et cela plaisait à Jacques après « les années sombres » de sa jeunesse. Bruno avait été un enfant très éveillé, curieux, puis il avait commencé à tout mettre en doute et à provoquer de grosses disputes avec son père. Il avait fini par s’éloigner pour de bon en leur laissant quelques mots sur une carte dans la boîte aux lettres. Heureusement, leur fille Corinne fait leur joie, avec ses deux petites, ils se voient régulièrement.

    Le poisson qui saute hors du bocal, c’est donc avant tout ce fils qui a fui sa famille sans plus donner de nouvelles et qui hante l’esprit de son père. C’est peut-être aussi Jacques quand il sort de « l’aquarium » avec son paquet de cigarettes, même s’il ne fume plus. Parfois Juliette le rejoint dehors. Elle est la seule avec qui il a encore envie de parler. Quand il l’interroge sur ses enfants, elle lui apprend que sa fille est morte six ans plus tôt. « D’un geste impulsif, je pose ma main sur la sienne. Elle est molle et chaude. »

    Les soirs sans Clara, de garde, Jacques cuisine parfois, mais la fatigue, son ulcère l’en découragent souvent. Lire, sortir, regarder la télé, plus grand-chose ne l’intéresse. Il va se coucher. « Depuis le départ de Bruno, depuis sa carte postale, le joyeux va-et-vient s’est arrêté, la maison est silencieuse, même le chat ne miaule plus. »

    Verena Hanf campe dans L’Enfer du bocal un personnage à la dérive et montre le désarroi de parents aimants abandonnés sans raison par un fils. On se demande si ce couple qui n’arrive plus à communiquer tiendra le coup, et où cela va les mener. De petites lumières d’espoir éclairent ce roman centré sur les liens familiaux et largement inscrit dans un contexte social. On y reconnaît bien notre époque et la fragilité des rapports humains.

  • Présentations

    verena hanf,la fragilité des funambules,roman,littérature française,belgique,bruxelles,société,rapports humains,couple,famille,enfants,culture« Madame la psychologue n’était pas contente en voyant Cosmin. Adriana l’a remarqué tout de suite. Mais comme elle ne disait rien, il ne fallait surtout pas s’excuser et se lancer dans de longues explications. Comme si elles s’étaient rencontrées par hasard dans la rue, Adriana a fait les présentations brièvement. « Cosmin, dis bonjour. C’est Nina, la maman de Mathilde. » Madame avait un sourire forcé, sans bienveillance. « Et voici mon fils, Cosmin. » En le regardant de haut en bas, son sourire est devenu plus naturel. « Hello, jeune homme. » Elle a hoché la tête et tendu la main au petit. Adriana a vite ajouté, tout en le poussant vers la porte : « Il me rend visite pour quelques jours. Allez, Cosmin, il faut qu’on y aille, maintenant. » »

    Verena Hanf, La fragilité des funambules

    Jacob Smits, Petit garçon à la casquette

  • Des vies sur le fil

    Verena Hanf, de livre en livre, dessine la toile des relations humaines dans notre société. La fragilité des funambules, qui vient de paraître à Bruxelles, montre le difficile équilibre à garder dans nos rapports avec les autres, quand les tensions ne manquent pas d’apparaître, parfois pour un rien, le plus souvent pour des raisons profondes. 

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    En voici la belle épigraphe, tirée du Loup des steppes de Hermann Hesse : « En réalité, aucun moi, même le plus naïf, n’est une unité, mais un monde extrêmement multiple, un petit ciel étoilé, un chaos de formes, de degrés et d’états, d’hérédités et de possibilités. »

    Au centre du roman, dont l’histoire se déroule en passant du point de vue d’un personnage à l’autre, Adriana. Cette jeune femme roumaine s’occupe pendant la journée de Mathilde, la petite fille d’un couple d’expatriés allemands, parfois excédée par cette « grenouille grincheuse » née dans « cette famille trop riche, dans cette maison trop vaste, dans cette banlieue trop propre, un biotope de bourges ».

    Six heures et demie. Adriana en veut à son employeuse, Nina, une psychothérapeute, de rentrer à nouveau en retard : elle a besoin de respirer, de prendre le bus assez tôt pour pouvoir téléphoner de chez elle à ses parents ; elle voudrait entendre la voix de son garçon, Cosmin, avant qu’il soit au lit. Elle l’a laissé au pays à la garde de ses grands-parents, elle n’a plus entendu sa voix depuis plusieurs jours.

    Nina, pendant ce temps-là, soupire dans les embouteillages bruxellois, fatiguée de sa dernière patiente « qui ne voulait plus se taire ». En rentrant, elle se préparera « un énorme plat de pâtes » ; il faudra aussi de la salade pour son mari, Stefan, « apôtre du manger-sain » à qui ce genre de nourriture déplaît. Très pris par son travail de juriste, elle le juge trop peu présent auprès de leur fille.

    Heureusement, elle peut compter sur Adriana, « une vraie perle, fiable » que la petite adore – Nina l’admire aussi, pour ses qualités et pour son courage. Adriana lui a confié un jour l’horreur qu’elle a vécue. Cosmin est né d’un viol collectif, onze ans plus tôt. Elle a laissé l’enfant chez ses grands-parents, qui prennent bien soin de lui.

    Mathilde pleure facilement quand elle est contrariée, quand sa nounou la brusque, quand ses parents se disputent, quand sa mère est trop fatiguée pour lui lire une histoire le soir. Bien qu’énervée, Adriana tâche de se radoucir pour rassurer l’enfant. Elle se sait souvent trop sur la défensive. Elle s’inquiète de son garçon qui ne parle pas beaucoup au téléphone,  même si « les mecs ne sont jamais bavards », comme dit son copain Gaston pour la rassurer.

    Une soirée telle que la ressent Nina, s’efforçant à la patience, se versant un grand verre de vin pour se détendre, pour rester conciliante, a peu à voir avec ce que se dit Stefan de son côté. Celui-ci trouve toujours une raison de la critiquer, s’irrite dès qu’elle boit trop ou qu’elle lui reproche de trop peu s’occuper de Mathilde. Il préfère souvent s’isoler à l’étage, aller dormir.

    Ce qui bouleverse leur routine avec son lot de frustrations, c’est la chute de la mère d’Adriana qui s’est cassé le pied. Du coup, son père exige qu’elle vienne chercher le petit, qu’elle s’occupe elle-même de son fils. Adriana est « abasourdie » : comment faire dans son minuscule appartement ? à son travail ? Comment bien s’occuper de lui dans cette ville étrangère et dangereuse pour un enfant pas habitué au trafic ? Comment réagira-t-il en découvrant Gaston ?

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    Verena Hanf / photo © Mareille Landau

    Verena Hanf campe ses personnages dans leur situation à la fois personnelle et sociale, nous rend curieux du sort de chacun. Adriana ne se comporte pas en victime, souvent la boule au ventre la rend prompte à la colère, mais elle tâche de garder le contrôle, tout en ruminant une vengeance. Nina n’est pas heureuse avec son mari distant, égocentrique, bien que leur vie soit confortable. Le sympathique Gaston se montre plein d’empathie pour Adriana. La place des enfants, le rôle des grands-parents roumains, tout cela est rendu avec justesse et sensibilité.

    La fragilité des funambules de Verena Hanf est « un roman actuel qui évoque la diversité sociale d’une grande ville et le pouvoir des préjugés », indique l’éditeur bruxellois. Le titre convient à tous ces personnages sur le fil de leur vie (comme Alma dans La griffe) et d’abord à Adriana, dans un pays étranger où les regards sur elle ne sont pas toujours bienveillants.

  • Comprendre

    Hanf La griffe.jpg« Je n’aime pas parler, les mots ne sortent pas facilement, c’est peut-être parce que mes dents et ma langue sont de travers. Il y a comme des nœuds dans ma bouche qui empêchent les mots de sortir. En moi, je construis de jolies phrases, mais dès que je veux qu’elles sortent pour prendre l’air et devenir des sons, ils trébuchent et se cachent. « Ne sois pas triste pour ça, mon chat », disait Emma, « l’essentiel, ce n’est pas de parler, mais de comprendre. Et tu comprends très bien, je le sais. » »

    Verena Hanf, La griffe